La chaise rose de Jacqueline

(Par Myriam Beaulieu)

Dans son coin de chambre, elle trônait. Elle était belle, toute satinée et surtout, rose.
À partir de ce moment, ce fut ma chaise. Ma chaise de princesse, ma chaise de Noël, ma chaise spéciale.
Encore à ce jour, elle trône. Elle est belle, toute satinée, rose, et surtout, pleine d’histoire et de souvenirs.

D’aussi loin que je me souvienne, la belle chaise rose satinée chez ma grand-mère maternelle avait toujours été là. Elle me fascinait. Du haut de la petite poupée que j’étais, elle me semblait énorme avec ses deux bras de bois bien ancrés et ses pattes recourbées. Elle était recouverte d’un beau tissu rose pâle, un rose timide, un rose discret. Elle avait l’air luxueuse, comme un beau trône où Marie-Antoinette aurait pu s’y laisser choir dans ses appartements rococos. Elle jurait un peu parmi le décor un peu plus moderne, c’était comme si le temps l’avait oubliée là. Pourtant, m’avait-on raconté, ma douce grand-maman l’avait choisie avec soin, puisqu’elle était de sa couleur favorite. C’était pour l’agencer avec ses rideaux et son couvre-lit, quelques années avant que je ne vienne au monde.

C’était une chaise de reine pour ma grand-maman. Pour moi, c’était une chaise de princesse.
Je n’ai jamais su pourquoi, mais j’ai adopté ce morceau de meuble. Plus tard, alors que je ne fus plus la seule enfant de la famille, elle m’était encore destinée. À chaque réunion familiale, je redevenais une princesse; je siégeais au bout de la grande table à rallonge improvisée lors d’occasions, comme si je veillais sur ma seigneurie.

Ce n’était pas une histoire d’enfant préféré. Ma famille du côté maternel savait que cette chaise était la mienne. Encore aujourd’hui, je ne me souviens d’aucune guerre avec ma petite soeur pour savoir qui allait être une princesse le temps d’une soirée.

Tous mes souvenirs de Noël, de Pâques, de fêtes des mères et des pères, passent par cette chaise rose. Je n’ose pas le dire, mais je m’y suis probablement assise jusqu’à l’âge de 16 ans. C’était ma place, l’endroit où je devais être, l’endroit où je me sentais bien.
Puis un jour, ma douce grand-maman a décidé de m’en faire cadeau. Elle s’est probablement rappelée de la princesse qui était rendue grande et qui voudrait probablement réquisitionner son trône; après tout, il m’avait été désigné depuis des lustres! La chaise aux allures d’un Versailles modeste a eu sa place longtemps dans ma chambre de jeune fille.

Comme la vie a son propre court, la Reine a fini par quitter cet immense palais qu’est le monde. Quand j’ai volé de mes propres ailes à mon tour, la chaise rose m’a suivie d’appartement en appartement.

Au moment d’écrire ces lignes, elle triomphe dans le coin de ma chambre. Elle jure un peu avec les meubles modernes, encore. Elle est toujours rose, mais un peu ternie par le temps. Parfois, un petit compagnon à quatre pattes s’y endort ; mon ami moustachu s’en est amouraché. La Reine, bien qu’elle n’adorait pas les minets, trouverait la situation bien cocasse, je pense. Plus souvent qu’autrement, des vêtements frais lavés mais non pliés s’y empilent, faute de paresse de la princesse.

Pourtant, quand elle est vide la chaise rose, elle est belle. Elle est grande, elle est unique, elle a une histoire. On dirait qu’elle parle, qu’elle chante. On dirait qu’elle assiste à mes joies et mes peines. On dirait qu’elle laisse le temps passer, qu’elle regarde la vie se dérouler.

La chaise rose, elle le sait que je l’ai toujours aimée.

Et parfois, même si elle en a fait don à la jeune princesse par amour, je pense que la Reine vient encore s’y asseoir pour veiller sur le royaume qui fut jadis le sien.

 

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