(Par Samuel Bourassa)
Je ne regarde pas beaucoup de séries télé. Encore moins celles qui sont québécoises. J’ai toujours eu de la difficulté avec celles-ci. C’est assez difficile à expliquer… j’ai toujours trouvé la télévision québécoise lourde, larmoyante, dramatique et teintée d’une froideur. Pour ma défense, je n’ai pas développé d’aversion. Je me suis toujours dit prêt à embrasser la télévision québécoise lorsqu’une de ses séries viendrait me captiver. Ceci nous amène au mois de janvier dernier, durant lequel j’entends le nom d’une nouvelle série au moins une vingtaine de fois, et ce, des lèvres de plusieurs personnes différentes: Série Noire.
Il faut savoir que Série Noire, de par les standards québécois, est un échec commercial. Comme a dit, avec sarcasme, un de mes anciens professeurs à l’Université de Montréal, Yves Picard: « Série Noire est un échec commercial, y’a seulement 500,000 personnes qui l’écoute chaque semaine ! Juste ça ! » La diffusion d’une deuxième saison est donc tout sauf assurée. J’espère toutefois que nous aurons l’occasion de voir sur nos écrans une suite à la production de Jean-François Rivard et François Létourneau.
Pour en revenir à la critique de la série, j’aime dire que Série Noire est un OVNI. D’accord, pas vraiment un OVNI. Disons plutôt un OTNI: objet télévisuel non identifié. C’est une série très étrange. Elle se présente avec une esthétique très proche de beaucoup de séries québécoises récentes dont je décrie la lourdeur, mais offre, en réalité, un contenu qui relève beaucoup plus du comique. Il n’y a pas ici de rires préenregistrés ou d’avalanche de gags et de jeux de mots. Mais il reste que la série nous fait sourire à plusieurs moments. Et alors que le scénario impose à ses personnages des aventures hors du commun, ceux-ci semblent tellement être si déphasés face au « drame » du récit que le résultat en est presque parodique. Il est difficile de mettre le doigt sur le genre auquel appartient Série Noire.
Les personnages, dont nous parlions à l’instant, comptent pour beaucoup dans mon appréciation pour la série de Radio-Canada. Dans les rôles qu’ils occupent, ils sont presque tous des losers. Des anti-héros. Ils montent plans après plans pour essayer de se sortir de leurs situations précaires. Malheureusement, ils échouent à tous les coups et ne font qu’empirer leur situation. De la même manière, les antagonistes semblent si incompétents que c’en est drôle. Mais, après y avoir pensé, ces personnages ne sont pas tant des losers. Ils sont simplement des gens normaux. Je ne crois pas que je ferais bien mieux dans leur situation, un peu comme chaque personne de ce monde qui n’est pas un James Bond ou un MacGyver. Et on tient ici l’essence des personnages de Série Noire. Ils sont crédibles, ils sont humains et ils sont vivants. On ne se retrouve pas à visionner les exploits d’un homme d’exception mais bien les essais infructueux de gens normaux mis à mal par des problèmes anormaux. Cette humanisation des personnages, protagonistes ou antagonistes, les rend si attachants et, encore une fois, si crédibles.
Je me permets aussi de féliciter Rivard et Létourneau pour le personnage de Marc Arcand qui dans mon cas est de loin le meilleur de la série. Vandale, ingénieux, mais si attachant. Ses dictons personnels comme « Les lois des hommes ne s’appliquent pas à Marc Arcand », justifient ses actions plus imprévisibles les unes que les autres et ont créé, selon moi, un personnage tout à fait remarquable.
Une autre raison de mon appréciation de Série Noire m’a été expliquée par Marc Cassivi de LaPresse dans son article « Le cercle vicieux ». Historiquement, les grandes séries de la télévision québécoise ont toujours été portées vers les générations précédentes. Ce n’est que depuis quelques années que la télévision québécoise s’actualise et se rapproche de ce que les générations plus jeunes recherchent. Série Noire est selon moi un aboutissement, ou plutôt une étape importante, dans cette transformation du paysage télévisuel au Québec. Cette série représente peut-être le changement que j’attendais tant dans la télévision québécoise pour que je puisse enfin l’apprécier. Une approche différente, orientée vers un public plus jeune, m’a définitivement aidé à accrocher. Même si, au courant des dernières décennies, la télévision québécoise a lentement laissé tomber un français propre et stérile pour enfin accepter l’accent et le parler québécois, je n’ai jamais eu le sentiment que nous parlions le même langage. Par contre, celui qui était parlé par les personnages de Série Noire est le langage de ma génération. Un français québécois, moderne et jeune.
J’invite donc tous ceux qui ont un peu de temps libre à passer sur Tou.TV et à visionner quelques épisodes de Série Noire pour voir si la bête vous plaît. Et comme cette critique n’est pas vraiment une recommandation, mais une obligation qui vous est imposée, j’attise votre curiosité avec une citation d’un des personnages principaux de la série, Denis Rondeau:
Chéri, j’ai un cadavre dans le coffre de la voiture, veux-tu m’aider à le mettre dans le cabanon?